Les mutineries de 1917
Dossier réalisé par Cécile Geoffroy (bibliothécaire-stagiaire à l'ENSSIB)
Les origines de l’insoumission
Au printemps 1917, les soldats de l’armée française sont désespérés par l’échec meurtrier de l’offensive lancée, le 16 avril 1917, par le Général Nivelle au Chemin des Dames (Aisne). A cette hécatombe - 30 000 hommes tués en dix jours - s’ajoutent les conditions de vie exécrables sur le front (épuisement, manque de nourriture, absence de permission…). Les combattants ont le sentiment d’être sacrifiés « pour rien » tandis qu’à l’arrière les « embusqués » mènent une vie agréable, ainsi que l’expriment les paroles de La Chanson de Craonne. Peut-être sont-ils sensibles également aux échos de la Révolution russe et à la propagande pacifiste.
« Adieu la vie, adieu l’amour, / Adieu toutes les femmes. / C’est bien fini, c’est pour toujours, / De cette guerre infâme. / C’est à Craonne, sur le plateau, / Qu’on doit laisser sa peau / Car nous sommes tous condamnés / C'est nous les sacrifiés ! »
Ces conditions de vie sont notamment expliquées dans un journal, Un de la territoriale 1914-1918 : ma grande guerre. Gaston Lavy, un peintre en bâtiment mobilisé à l'âge de 39 ans et affecté au 20e régiment d’infanterie de la 12e compagnie du dépôt de Lisieux en tant que soldat de 2e classe, y écrit en 1920 le récit de sa vie au front : 3 volumes manuscrits.
Les manifestations de la désobéissance
La grogne des soldats se traduit par des refus collectifs de monter en ligne, des dispersions volontaires au moment de prendre la relève, des désertions. Les « mutins » se rassemblent et manifestent. Des slogans sont criés. L’Internationale est chantée et des drapeaux rouges sont agités. Des « papillons » invitant la troupe à ne pas marcher sont affichés dans les cantonnements. Les gares sont le lieu d’agitations, les trains des permissionnaires sont couverts de graffitis d’un genre nouveau : « A bas la guerre », « Des embusqués, il n’en faut plus »…
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un mouvement organisé, au plus fort des événements, une soixantaine de divisions de l’armée française, soit plus de la moitié, sont impliquées. Le nombre des « mutins » est estimé entre 30 000 et 40 000 par l’historien Guy Pedroncini, en 1967, et réévalué entre 60 000 et 90 000 par l’historien Denis Rolland, en 2005.
Les modalités de la répression
Le Général Pétain, nommé le 15 mai 1917 en remplacement du Général Nivelle, intervient dès que les mutineries sont connues du gouvernement, les 26 et 27 mai 1917. D’une part il réprime de façon limitée, d’autre part il réorganise le système des permissions et adopte une stratégie défensive qui épargne les hommes, afin de redonner courage aux soldats.
Selon Guy Pedroncini, 10% des « mutins » sont traduits devant les Conseils de guerre, 554 condamnations à mort sont prononcées, ce qui donne lieu à 49 exécutions. Les soldats graciés voient leurs condamnations commuées en peine de travaux publics et d’emprisonnement. Le Général André Bach, historien, évalue le nombre de soldats fusillés à moins de trente pendant la seule période des mutineries de 1917, lors d’une étude réalisée en 2014.
« A la 158° D.I. des hommes de 4 bataillons, qui devaient remonter le soir dans le secteur, se rassemblent dans le cantonnement du Quartier Général de la Division. Malgré les efforts du Commandant de l’Infanterie divisionnaire, du Colonel d’un des régiments et d’un certain nombre d’officiers, le rassemblement ne peut être dissocié. Les hommes réclament avec persistance le droit au repos et surtout aux permissions, […]. Dans la soirée, au moment du départ des bataillons, des hommes s’absentent volontairement ; il faut les rechercher, les grouper pour obtenir qu’ils rejoignent leurs unités. En cours de marche encore des meneurs réussissent à débaucher quelques soldats qui abandonnent leurs rangs. »
« J’appelle votre attention sur les faits suivants :
1- En gare de la Ferté Gaucher, des permissionnaires descendus d’un train de permissionnaires venant de Paris, distribuent aux soldats présents en gare, les papillons : « Assez de tués – La Paix » […]
2- En gare de Pagny-sur-Meuse, il a été remis à tous les occupants d’un wagon d’un train de permissionnaires, le tract « La Révolution Russe et le Devoir Socialiste », pamphlet pacifiste […]. »