L'Argonnaute : un journal de tranchées au fil de la guerre
Dossier réalisé par Sophie Gontcharoff et Clothilde Benoït (étudiantes UPN L3 PPE).
L'Argonnaute est un journal de tranchée, créé au sein du 2e bataillon du 25e régiment d’infanterie, en janvier 1916. Son titre est un jeu de mot : il fait référence à la fois aux Argonautes de la mythologie grecque et à la région dans laquelle ce bataillon était alors mobilisé, l'Argonne. Composé essentiellement de Normands et de Bretons, le 25e R.I. changera de secteur à plusieurs reprises : après l’Argonne, Verdun, la Somme, les Eparges et enfin, l’Alsace, région dans laquelle paraît le dernier numéro de l’Argonnaute.
Dans ce premier éditorial, le journal se présente comme fait par des soldats pour des soldats. Contrairement à d’autres titres qui font explicitement référence au régiment d’appartenance des auteurs, l’Argonnaute ne fait ici mention que du 2e bataillon. Dans les premiers numéros, les textes sont signés collectivement « l’Argonnaute » comme ici, ou restent anonymes. En ce début 1916, on espère encore la victoire proche : « Laissez-passer 1915 et respirez-mieux dans l’air nouveau de la jeune année. 1915, née au bruit des canons et morte, hier, au bruit toujours plus fort des canons, fut l’année des préparations héroïques : 1916, qui commence, ne sera-t-elle pas celle de la victoire ? »
Le numéro 13 de l'année 1916 met en avant une publicité pastiche détournant le personnage de Michelin, Bibendum et son slogan depuis 1893 « Le pneu Michelin boit l’obstacle » qui devient ici : "La grande offensive... par le fer et par le pneu !!! En avant les gars !!!! « Bibendum » est avec vous et « Bibendum » boit l'obstacle !!"
Les pastiches de publicités sont très fréquents dans l’Argonnaute.
Outre la mise en avant de publicité pastiche, plusieurs numéros de l'Argonnaute ajoute la rubrique « Le paquet du civil » qui reprend le traditionnel « courrier des lecteurs » en publiant des lettres de lecteurs de l’arrière. Ici, fac-similé de la lettre d’une cuisinière parisienne. L’arrière et les « civils » sont souvent opposés aux soldats, parce qu’à l’abri. La lettre est d’ailleurs suivie d’un pastiche de communiqué officiel : « Rien à signaler sur les différents fronts de l’arrière. Les civils tiennent toujours bien »
Tantôt bimensuel, tantôt mensuel, l’Argonnaute, malgré les difficultés liées aux aléas de la vie sur le front, paraît sans interruption jusqu’en décembre 1918-janvier 1919, soit soixante numéros. Chaque numéro compte 4 à 12 pages, de format 20 x 31 cm. Comme pour de nombreux autres journaux de tranchée, le mode de fabrication reste artisanal : les feuilles sont polycopiées à la gélatine à partir de matrices manuscrites. A partir de février 1917, à l’encre violette, s’ajoute l’emploi d’autres couleurs. Le tirage, obligatoirement plus limité que dans le cas d’un titre imprimé, atteint environ 80 exemplaires. Il s’effectue soit en tranchée, au poste de secours du 2e bataillon, soit au repos, dans des locaux de fortune.
La publication est dirigée par deux caporaux du 25e R.I., Henry Jacques, poète et collaborateur du Petit Journal avant la guerre, et Maurice-Charles Renard. Leur nom n’apparaît pas dans les premiers numéros mais ils rédigent pratiquement tous les textes. Maurice Dévelay quant à lui, fait les dessins, sous le pseudonyme de Zim tandis que le caporal Arthur Héroult s’occupe du tirage. Après la mort de Zim à l’âge de 22 ans à Maucourt (Somme) le 30 août 1916, plusieurs dessinateurs se succèdent : Marcel Jeanne, Stabi, Henri Duvassal, Pierre Galle. Au même moment, H. Jacques, grièvement blessé par trois éclats d’obus au rein, continue d’envoyer des textes depuis son lit d’hôpital tandis que Renard qui sera lui aussi blessé plus tard, poursuit la publication, démentant ainsi l’annonce de la disparition probable de l’Argonnaute parue dans Le Journal du 15 octobre 1916.

Le premier sous-titre du journal, Journal humoristique mais intermittent interdit formellement aux embusqués, donne le ton : le but principal est de soutenir le moral des troupes en les divertissant, tout en produisant des textes d’une bonne tenue littéraire. Le journal publie des chansons, des chroniques littéraires et musicales, des pastiches (publicités, petites annonces, communiqués officiels émanant des autorités), ainsi que des « romans-feuilletons » et textes littéraires s’étendant sur plusieurs numéros. Les auteurs tentent de pérenniser certaines rubriques : « Le paquet du civil », « Chronique de la mode », « Au rab du rab », « Conseil à un jeune poète », « Savoir-vivre », « Le Mot ». Paraissent aussi des numéros spéciaux, dédiés notamment aux poèmes d’H. Jacques ou aux dessins de Zim. L’humour n’exclut pas l’expression de sentiments patriotiques et l’évocation des difficultés de la vie quotidienne, la peur de la mort et de la blessure, dans des textes ou des dessins au ton plus grave. Au fil des numéros et notamment en 1918, la lassitude se fait plus présente avec l’adoption d’un nouveau sous-titre, Journal de guerre.