Les Journaux de prisonniers et d'associations de prisonniers de la seconde guerre mondiale (Stalags et Oflags)
Le 17 juin 1940, après un peu plus d’un mois d’une campagne de France qui voit l’armée victorieuse de 14-18 débordée par les forces allemandes, le maréchal Pétain annonce aux Français « le cœur serré (…) qu’il faut cesser le combat ». Fin des combats certes, mais pas fin de la guerre : pour 1,8 million de soldats français faits prisonniers s’ouvre la période incertaine de la captivité dans le Grand Reich nazi. 1,6 million la subira jusqu’à la capitulation de l’Allemagne quatre ans plus tard, en stalag (Stammlager) pour les hommes de troupe, en oflag (Offizierlager) pour les officiers qui n’ont pas à travailler.
Dès lors, pour ces hommes confrontés à l’inconnu quant au sort des familles en France et aux duretés de la captivité en camp, pour le régime de Vichy qui fait des prisonniers de guerre une figure centrale de sa « Révolution nationale », comme pour la puissance détentrice qui insère cette population dans sa politique de « collaboration » et l’emploie pour son effort de guerre, les parutions destinées aux captifs deviennent un enjeu pluriel – culturel, idéologique, politique et économique – de l’expérience de la défaite.
La numérisation de 70 titres environ par La contemporaine offre une formidable plongée dans le monde des camps, dans ce quotidien, loin de la France, qui se lit aussi bien à travers les réflexions géopolitiques sur le contexte européen, les positions et propositions quant à l’avenir – économique, social et culturel – de la France, les brèves qui transforment leurs colonnes en relais avec les siens (l’enjeu du courrier) comme avec les autorités allemandes (le rôle de l’homme de confiance), sans oublier les pages sportives. Fonction récréative, fonction informative, les journaux affirment surtout, de 1940 à 1945, leur fonction idéologique fidèle à la « Révolution nationale » dont la rhétorique sature les pages, par le texte et l’image avec des francisques en majesté. Ces publications peuvent alors se lire aussi bien dans le cercle de l’intime qu’à l’échelle du camp mais aussi dans l’espoir du rapatriement en France qu’il faut préparer. Elles apparaissent enfin comme des productions de cette zone grise entre prisonniers et geôliers comme l’explicite le sous-titre du Bébé du B.B. « publié sur l’initiative et avec l’autorisation des Autorités allemandes ». Sans doute un des facteurs d’explication de la diversité des factures, que les parutions soient de fabrication soignée ou qu’elles relèvent davantage du bricolage.
Les titres reflètent à la fois cet attachement au maréchal (Au service du Maréchal, Bulletin du Mouvement Pétain), moins souvent au régime (La Francisque), selon une chronologie qui apparaît d’ailleurs de plus en plus en décalage avec l’adhésion déclinante des Français à Vichy, l’appartenance à une communauté qui est celle du camp (Bulletin du II E, Camp Quand, Le clos VI D, L’Echo du Stalag II A et de ses kommandos…) ou bien, de façon plus sensible, une communauté de vie (Entre camarades, L’Equipe, Pour nous). D’autres titres insistent sur ce temps suspendu – perdu ? – de la captivité (Le Pass’temps, Le canard embarbelé, L’Ephémère) et la fonction de support qu’ils prétendent assurer face à cette attente émolliente (Espoir, L’Optimiste, Demain). La volonté d’utilité se retrouve dans plusieurs périodiques (Servir, Tenir, Unir, Renaître).
Même si les séries se limitent souvent à quelques numéros, le corpus vient nourrir un renouveau des études sur la captivité depuis le travail magistral d’Yves Durand publié début des années 80 et met à disposition de l’historien des matériaux sur ce qu’a été la captivité – moins sans doute en tant qu’état d’esprit qu’en tant qu’horizon d’attente que Vichy et les autorités nazies eussent aimé qu’il fût – aussi bien que sur sa mémoire avec des publications de l’après-guerre (Le lien, 1954 à 2005). Croisées aux dépôts aux Archives nationales des fonds de certaines amicales d’anciens prisonniers, ces archives devraient intéresser les chercheurs de la guerre et de sa mémoire et permettre de diversifier les approches sur la captivité.
Fabien Théofilakis, MCF en Histoire contemporaine, Paris 1 - Panthéon Sorbonne
Pour aller plus loin
La contemporaine conserve des journaux de prisonniers. Pour faire des recherches sur les dossiers personnels des prisonniers, nous vous invitons à vous tourner du côté du Service Historique de la Défense qui conserve ces archives.