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La presse de l'exil brésilien en France

Cet article vous propose de découvrir le fonds de la presse militante brésilienne des années 1970 conservé à la Contemporaine. Un ensemble de neuf titres publiés à l'étranger pendant la dictature brésilienne, émanant de groupes très divers, reflet des mouvements de résistance armée à la dictature.

Une du journal "Combate P.O.C", qui représente un bras tenant un fusil
Combate P.O.C.

Le 1er avril 1964, le président travailliste brésilien João Goulart est renversé par un coup d’État militaire, instaurant une dictature destinée à durer 21 ans. Au cours des premières années, malgré une violente épuration initiale de la classe politique et de l’appareil d’État (« l’opération nettoyage »), un espace demeure pour l’expression de l’opposition et le respect de l’État de droit. Mais en 1968, un puissant mouvement étudiant, que relaient des grèves ouvrières et une opposition au Congrès enhardie, conteste frontalement l’autoritarisme du régime et sert de prétexte en décembre 1968 à « un coup d’État à l’intérieur du coup d’État » : l’édition d’un décret, l’Acte Institutionnel n°5, qui rompt définitivement avec le système démocratique. Toute opposition au régime est alors contrainte à la clandestinité, ce qui incite une génération entière d’étudiants et de militants à adopter la voie des armes. Une constellation de mouvements armés apparaît et se heurte à un appareil répressif de plus en plus tentaculaire et efficace, qui utilise la torture de façon systématique afin de démanteler les organisations. C’est le début des années de plomb (1969-74), au cours desquelles des milliers de militants révolutionnaires sont faits prisonniers, rejoignant dans les geôles du régimes syndicalistes, leaders paysans, hommes politiques progressistes. Des milliers d’autres (entre 5 000 et 10 000) sont contraints à l’exil : souvent d’abord dans les pays voisins, notamment le Chili de l’Unité Populaire (1970-1973) puis, lorsque le joug militaire s’abat sur tout le sous-continent, l’Europe et en particulier la France.

Le fonds présenté par la Contemporaine constitue le reflet, via une presse militante rédigée et divulguée à l’étranger, de cette double dynamique de résistance armée à la dictature brésilienne, et de violence d’État. Les neuf titres présents – Resistência, le Bulletin du Front Brésilien d’Informations, Debate, Conjuntura brasileira, Campanha rebaptisé Cadernos de Campanha, Études brésiliennes, Combate P.O.C., Unité Syndicale brésilienne – émanent de groupes très divers dans leur composition et leurs objectifs, et ne sont pas tous rédigés dans la même langue ni dans les mêmes pays.

Une du journal Resistencia
Resistencia

Certains journaux émanent d’une organisation précise, et visent à diffuser à l’étranger sa stratégie politique, dans une optique d’exportation de la révolution, de diffusion d’une certaine ligne d’action et de formation des militants. C’est le cas de Resistência, organe clandestin de l’Alliance de Libération Nationale (Aliança de Libertação Nacional – ALN) et du Mouvement du 8 Octobre (Movimento 8 de Outubro – MR8), puis du seul MR-8. Le numéro de 1969, en espagnol, est destiné à un lectorat sud-américain, tandis que des exemplaires plus tardifs (1972) sont des traductions en français de l’édition brésilienne, par des militants réfugiés dans l’Hexagone.

Une du journal Campanha du 28 septembre 1972
Campanha - 1972

Les publications permettent de suivre certaines des trajectoires d’exil, en particulier l’importance du passage par le Chili de nombreux exilés. Le journal Campanha, dont les organisations autrices ne sont pas clairement identifiées, présente des nouvelles et des débats politiques sur le Brésil, depuis Santiago du Chili et en espagnol, dans le but – c’est le sous-titre – de « transformer l’exil en terrain de lutte ». Le journal Combate, lié au P.O.C. (Parti Ouvrier Communiste – Partido Operário Comunista), débute en espagnol depuis le Chili, avant d’être édité après le coup d’État de 1973 en portugais depuis la France, là où ses militants se sont réfugiés. La publication est associée à la publication du journal trotskiste Rouge, membre comme le POC de la IVe Internationale.
En fonction du lieu et de la date de publication, et de la présence de leaders d’organisations révolutionnaires dans la rédaction, les titres sont plus ou moins orientés vers la dénonciation de la violence d’État au Brésil, vers la diffusion de nouvelles auprès de la communauté exilée, vers l’affirmation d’une certaine stratégie révolutionnaire ou vers le débat politique. Le Front Brésilien d’Informations (FBI) est ainsi essentiellement tourné vers la dénonciation des crimes d’État, que ce soit depuis le Chili, où il fait paraître un bulletin en 1972 et 1973 ou depuis la France et l’Algérie à la même période. Le FBI parle aux opinions occidentales, où s’affirme alors une pensée des droits humains. Conjuntura Brasileira, au contraire, ne s’adresse ni à l’opinion, ni à la presse française, mais aux Brésiliens réfugiés à Paris, qui disposent de peu d’informations sur l’évolution de la situation dans leur pays. Le journal dont la Contemporaine dispose de la collection la plus complète, Debate (1970-1980), est quant à lui traversé des questions sur la lutte armée et son auto-critique, l’unification des forces révolutionnaires, l’adaptation à l’ouverture politique et la démocratisation. Soulignons le haut niveau conceptuel de ces productions, qui reflètent la grande proportion d’intellectuels et d’étudiants parmi les militants brésiliens exilés.

Une du journal Études brésiliennes de janvier 1975
Études brésiliennes - 1975

Le fond comprend même un titre, Études brésiliennes, à mi-chemin entre une revue scientifique de sciences humaines et une production militante.

La collection « Presse de l’exil brésilien en France » de la Contemporaine permet ainsi de comprendre quelles ont été les formes de mobilisation politique au sein de l’exil brésilien, entre soutien à la lutte révolutionnaire au pays et sensibilisation des opinions européennes à la violence d’État. Elle permet également de comprendre certaines des trajectoires d’exil, géographiques et surtout politiques, au fil de la « détente » au Brésil et en dialogue avec le contexte français dans lequel les exilés évoluaient. Si de nombreux travaux ont exploité cette documentation, elle demeure fondamentale pour replacer l’expérience de l’exil dans l’histoire récente du Brésil.

Maud Chirio, McF à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée

Laboratoires ACP (Analyse comparée des pouvoirs) (EA 3350) et Mondes Américains

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