Kommersant
À l'occasion de la mise en ligne de Kommersant sur l'Argonnaute, nous vous proposons de découvrir l'histoire de ce journal et de son acquisition par la Contemporaine, avec cet article de 2012 remis à jour en 2025.
En 2009, le quotidien russe Kommersant (Le Commerçant) célébrait un double anniversaire : le centenaire de son premier tirage et les vingt ans de la reprise de sa parution. Un film documentaire, produit par un journaliste russe, Léonid Parfenov, a d’ailleurs été réalisé à l’occasion de ce jubilé, considéré comme un événement très important dans le monde de la presse en Russie.
Créé en 1909, et diffusé jusqu’en 1917, le journal a en effet connu une renaissance en 1989 : aujourd’hui Kommersant est une grande maison d’édition publiant plusieurs titres de périodiques dont le quotidien Kommersant, les hebdomadaires Kommersant – Vlast’ (littéralement « Commerçant – pouvoir ») et Ogoniok (journal illustré socio-politique et littéraire), le mensuel Autopilot (consacré aux automobiles) et des éditions régionales. La page de titre du quotidien affiche actuellement, à côté du numéro, la mention entre parenthèses : « depuis la reprise de la parution », pour mettre en évidence le lien avec le journal édité avant la Révolution d’Octobre 1917.
Dans le cadre du pôle associé avec la Bibliothèque nationale de France, la Contemporaine a entrepris des recherches en Russie pour acquérir des exemplaires de l’édition d’origine. La Bibliothèque nationale russe de Saint-Pétersbourg, qui possède la collection presque complète, a répondu positivement à la demande. Il a alors été décidé que la Contemporaine financerait la numérisation de l’ensemble des numéros de Kommersant, quotidiens et suppléments, parus entre 1909 et 1917. Ce ne sont donc pas moins de 2 275 numéros (plus de 10 000 pages !) que la Contemporaine vient de mettre en ligne sur l'Argonnaute ! De quoi ouvrir de nouveaux chantiers pour la recherche sur la presse en Russie...
Un coup d’oeil rapide permet de comprendre que Kommersant était destiné initialement aux hommes d’affaires, aux entrepreneurs et aux commerçants. Un supplément publiait même la liste des hommes d’affaires arrivant à Moscou. Les premiers numéros sont ainsi entièrement consacrés à l’économie et à l’industrie. Mais au fil du temps, les articles se mettent à aborder également des sujets concernant la politique, l’international et le social. Les tirages du journal augmentent alors significativement. Pendant la Grande Guerre, le journal publie aussi des nouvelles des différents fronts et les appels aux souscriptions à l’emprunt de guerre. Paru le 25 octobre 1917, le dernier numéro traite des insurrections ouvrières à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Le journal cesse définitivement de paraître en novembre 1917, suite à un décret des bolcheviks interdisant l’activité de toute presse « qui trouble les esprits et publie des informations mensongères» (sic). Juste retour des choses, le processus de la Perestroïka offre à Kommersant l’occasion d’une renaissance dans une Russie s’affranchissant de la censure bolchévique.
Alexis Ligotski, chargé de collections, Service Europe Centrale et Orientale
Extrait d’un entretien avec le ministre de l’intérieur, publié en une de Kommersant le jour de la Révolution bolchévique
"Dans l’entretien qu’il a accordé à notre collaborateur, le ministre de l’Intérieur, A. M. Nikitine, s’est exprimé sur quelques questions qui inquiètent de façon particulièrement vive le pays en ce moment :
- En ce qui concerne le soulèvement des bolcheviks, dont on parle beaucoup trop, je ne pense pas qu’il se produise à un mois de la session de l’Assemblée Constituante. Bien sûr, tout est possible. Mais il faut considérer que l’insurrection bolchevique, si elle devait avoir lieu, ne serait pas dirigée contre le Gouvernement Provisoire, mais contre l’Assemblée Constituante […]. Les bolcheviks n’ont bien évidemment aucun intérêt à ce que siège l’Assemblée Constituante, car celle-ci mettra fin à la liberté d’action totale dont ils jouissent. […] Ces aventuriers se heurteront aujourd’hui à une résistance qu’ils n’ont guère connue jusqu’à maintenant. […] Quand j’ai travaillé au sein du soviet des travailleurs, des soldats et des députés de Moscou, j’ai pu observer et j’ai constaté que les éléments bolcheviks sont totalement inefficaces en ce qui concerne l’organisation du travail. Ils n’ont aucune aptitude au travail. S’ils avaient réussi à prendre le pouvoir, nous n’aurions pas travaillé avec eux. Ils seraient restés seuls. Et s’ils avaient eu ces aptitudes on l’aurait déjà remarqué, car la Russie est pauvre en personnes compétentes. […] En admettant même que les bolcheviks réussissent à vaincre par la force toute forme de résistance, cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient capables ensuite de se faire obéir. […]."
Traduction : Carole Ajam et Irina Tsvetkov
Adaptation : Wanda Romanowski
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8 avril 2025