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Elie Kagan

La contemporaine conserve un très large fonds de photographies - plus de 200 000 images - prises par Elie Kagan. Après l'exposition temporaire qui lui a été consacrée en 2021-2022, nous vous proposons maintenant de (re)découvrir son oeuvre sur l'Argonnaute.

Autodidacte, passionné par le monde social et politique, volontiers provocateur, Élie Kagan fixe sur la pellicule meetings, manifestations, événements culturels, réunions et rassemblements politiques. Sa production constitue une archive historique et visuelle de la vie politique, intellectuelle et culturelle française des années 1960 aux années 1990. Photoreporter engagé, il est de toutes les manifestations d’une époque riche en la matière. Il sera l’un des rares à saisir par l’image les violences policières perpétrées à l’encontre des Algériens dans la nuit du 17 octobre 1961.  

Profession photographe de presse

Photo d'une foule de manifestants dans le métro parisien
Le 17 octobre 1961 : métro Concorde - KAG/00001/N/A01

Élie Kagan entre officiellement dans la corporation des photographes de presse avec son reportage sur le 17 octobre 1961 : ces photographies répondent à la définition canonique du scoop et lui permettent d’obtenir sa carte de presse.

Photographe indépendant, il édite et tire lui-même ses photographies dans le laboratoire qu’il s’est aménagé chez lui, avant de démarcher les rédactions presse pour les vendre. Il couvre l’activité politique, militante et syndicale parisienne et participe à la plupart des manifestations et mouvements de revendications des décennies 1960-1990. Il travaille régulièrement avec Droit et liberté (dont il est pigiste jusqu’au début des années 1970), Tribune socialiste ou Témoignage chrétien. Ses collaborations avec la presse militante et de nombreux titres de la presse généraliste traditionnelle restent ponctuelles (Nouvel observateur, L’Express, Le Monde, …).

Ses photographies paraissent peu en une d’actualité. Il publie surtout des portraits recadrés de personnalités politiques, des petits formats en pages intérieures, multiplie le nombre de ventes et les petits gains, tels que les tirages achetés par les rédactions pour leurs photothèques... Tirages, piges, archives et publications mettent en évidence des aspects plus quotidiens du marché de la photographie de presse et de ses usages en rédaction – le scoop faisant figure d’exception. Tout montre la banalité et la trivialité de ces métiers. Ces aspects, moins racontés, ne peuvent être appréhendés par le prisme de l’histoire de l’art qui sert de canevas à la valorisation de ces corpus visuels depuis les années 1990. Ils mettent en évidence l’organisation, la construction – voire l’anticipation – du récit médiatique, y compris pour la fabrique de l’actualité.

Photo de Martin Luther King interviewé par une journaliste
Interview de Martin Luther King - KAG/02748/N/A01
Photo d'un homme parlant dans un mégaphone au milieu d'une vaste manifestation
Mai 1968 : manifestations et barricades du 10 mai - KAG/3647/N

Photographe d'archive et d'histoire

Photo d'une manifestation du Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire
Manifestation du Premier mai : de Nation à Bastille - KAG/05036/N/A14

Le fonds Élie Kagan est également connu et investi par différents milieux militants car plusieurs de ses photographies gardent les traces d’engagements et d’événements dont elles sont parfois des preuves à charge. Elles témoignent de l’appétence du photographe pour le fait politique et de son attrait pour les personnalités politiques en général. Peu diffusées par les canaux médiatiques habituels, ces images prennent de l’importance avec le temps grâce au travail des groupes militants et de la recherche : elles circulent pour mémoire avant d’être investies plus généralement comme sources pour l’histoire. Ses images de la répression de la manifestation des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris en sont l’exemple le plus emblématique : les associations telles qu’« Au nom de la mémoire » s’appuieront dessus pour dénoncer et faire reconnaître ces violences d’État.

Élie Kagan, volontiers surnommé « photographe de toutes les manifestations parisiennes », saisit les mouvements de son époque tout particulièrement séduit par le collectif et la foule anonyme qu’il a à coeur de représenter (Mouvement de libération des femmes, Front homosexuel d’action révolutionnaire, …). Il suit en 1972 l’engagement d’intellectuels célèbres, comme Michel Foucault et Jean-Paul Sartre, dans leurs actions au sein du GIP (Groupe d’information sur les prisons), l’importance de ces figures donnant du poids à une série de reportages désormais bien valorisés dans le fonds. Plus tard, engagé politiquement aux côtés de Beate et Serge Klarsfeld, Élie Kagan garde la mémoire des actions menées par le couple. Il constitue ainsi une archive visuelle de leur engagement tout en collectant et produisant pour lui-même une documentation photographique de l’antisémitisme contemporain.

Photo de Michel Foucault
Michel Foucault - KAG/02836/N
Photo d'une manifestation contre l'antisémitisme
Manifestation contre l'antisémitisme - KAG/05794/N/A03A

Flâneries urbaines d’un photographe sédentaire

Photo de femmes qui courent sous la pluie à Paris
Scènes de rue à Paris - KAG/05039/N/A17

 La numérisation des photographies d’Élie Kagan puis leur inventaire a révélé un corpus d’images allant bien au-delà de celles qui ont circulé dans la presse. Photoreporter indépendant, qui se revendique engagé, Élie Kagan prend des photos pour gagner sa vie – une part de sa production a vocation à être publiée – mais d’autres images figurent sur ses pellicules, au milieu des reportages. Sa pratique est alors plus intime et dévoile un rapport plus existentiel à la photographie : une façon de vivre, au jour le jour, sans autre projet que d’être là, dans le plaisir de l’immédiat, porté par les rencontres, les accrocs et les surprises du quotidien. Loin du mythe du grand reporter se rendant sur les zones de combats, Élie Kagan est un promeneur infatigable mais sédentaire : il flâne dans Paris pour son plaisir, sans chercher à répondre à une commande, rayonnant depuis le centre de la capitale où il réside dans l’appartement familial de la rue René Boulanger. Délaissant la recherche du scoop et de l’événement, il se révèle un photographe du quotidien et de l’ordinaire, témoin de son temps, attentif aux transformations urbaines et sociologiques comme aux anonymes qu’il croise dans la rue. Ces photographies sensibles et plus esthétiques font écho aux velléités artistiques de ses débuts. Quand le peintre Gérard Fromanger fait de nouveau appel à lui en 1971 pour l’aider dans son travail sur la série Boulevard des Italiens, c’est pour immortaliser sur la pellicule les scènes de rue les plus banales, à la recherche qu’ils sont tous deux du non-événement. 

Photo d'un homme portant divers instruments de musique, dans une rue
Léo Vermandel, homme-orchestre dans les rues de Paris - KAG/01707/N/A01
Photo d'une rue de Nanterre, avec quelques personnes qui passent
Bidonvilles de Nanterre - KAG/00015/N/A05

Pour aller plus loin

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