La Première Guerre mondiale mobilise plus de 8 millions d’hommes sur les fronts français, allemands et orientaux. Les lettres et cartes postales envoyées à l’arrière pour rester en contact avec leur famille ne suffisent pas à leur changer les idées. Pour remédier à l’attente et l’ennui, les soldats créent, dès la fin de 1914, des journaux destinés à leurs camarades. Cette production abondante et diversifiée témoigne de leur vie quotidienne sur le front.
Cette exposition aborde les journaux de tranchées sous trois angles : leur conception et moyens de production, leur contenu, enfin, l’état d’esprit de soldats face à l’ennemi et l’arrière.
Les journaux de tranchées présentent une grande diversité de tonalités, de thématiques et de publics, ce dont témoignent leurs titres. Certains sont consacrés à des régiments spécifiques. C’est le cas du Zouzou, destiné aux tirailleurs nord-africains engagés dans le conflit aux côtés de la métropole. Quelques titres, comme Rigolboche, font état de la haine entretenue par les soldats à l'égard de l'adversaire allemand. D'autres encore évoquent l'expérience de guerre sur un ton humoristique, voire ironique: la une de Gardons le sourire est à ce titre particulièrement révélatrice.
Les modalités de conception des journaux diffèrent d’un titre à l’autre en fonction des conditions et moyens matériels dont disposent les soldats : sur le front ou en retrait des premières lignes, argent disponible, matériel à disposition etc. Certains journaux, comme La revue biscuitée, sont rédigés à la main et/ou illustrés de dessins en couleurs. Les combattants disposant de machines à écrire, dactylographient leurs articles. C’est le cas de ceux du Cri de ralliement des Gromort. Enfin, certains titres, bénéficiant de relations avec des imprimeurs de l’arrière et de moyens plus élevés, font imprimer leurs productions, à la façon des journaux traditionnels. Le Temps buté, dont l’exemplaire proposé ici témoigne de ce lien avec les imprimeries de l’arrière..
Les soldats sont confrontés à des conditions de vie très difficiles : boyaux de tranchées remplis de boue, rigueur du climat, pluie. Ces conditions de vie entraînent un grave manque d’hygiène et les soldats deviennent vulnérables aux parasites, aux rongeurs et aux maladies. Plusieurs articles témoignent de cette nouvelle cohabitation avec ce que quelques soldats nomment “La Faune des Armées”.
Lutter contre le “cafard”, telle est la devise, le leitmotiv des journaux de tranchées. En effet nombre d’entre eux proclament, dès la parution de leur premier numéro, vouloir écrire pour détendre leurs camarades, les soulager, les distraire de l’horreur quotidienne de la guerre. Boum….voilà affiche comme devise « Ridendo Consolari », “Être consolé par le rire”. Face aux Boches, sous-titré « Bulletin destiné à la destruction du cafard dans les boyaux du front » joue sur la polysémie du mot “cafard”, désignant à la fois le parasite et la baisse de moral des soldats à exterminer.
La production littéraire et artistique occupe une place de choix dans les journaux. La grande majorité d’entre eux y consacre plusieurs colonnes ou pages, et certains journaux, tels que La Musette, se définissent ouvertement comme «littéraires». Les fictions et les poèmes abordent des sujets variés et évoquent parfois la guerre. La plupart des journaux sont également illustrés de caricatures et de strips (courtes bandes-dessinées).
La tonalité d’ensemble de la plupart des journaux reste légère. Si les soldats ne font pas de leurs articles un terrain d’expression de leur détresse, certains articles témoignent des conséquences dramatiques de la guerre. Les élans de solidarité et de sympathie trouvent leur expression dans des rubriques d’hommage aux morts, visant à perpétuer la mémoire et la dignité des camarades. C’est le cas de l’hommage illustré issu du Poilu déchaîné. Certains journaux, comme Le Petit bleu, reversent quant à eux leurs bénéfices aux soldats nécessiteux.
Entretenir la haine contre l’allemand est un élément important pour l’effort de guerre. L'Allemand ou la nation allemande sont régulièrement caricaturés et discrédités. La caricature parue dans RigolBoche représente un soldat allemand en Lucifer, exacerbant ainsi la cruauté de l’ennemi. D’autres représentations tournent en dérision la puissance de la nation allemande, comme en témoigne cette personnification de l’Allemagne en une femme famélique se soutenant avec deux béquilles. C’est une représentation d’une Allemagne sur le déclin que les soldats souhaitent ici montrer.
Les poilus éprouvent un sentiment ambigu à l’égard des populations civiles. S’ils cherchent à maintenir un lien affectif avec elles, en particulier avec leurs familles, ils éprouvent néanmoins une difficulté à évoquer les horreurs dont ils sont témoins au quotidien. Dans la « lettre ouverte aux parisiens » publiée dans le numéro 23 de La Fusée, l'auteur tente par de redonner le moral aux civils en s’adressant à eux sur le ton de l’humour et de la plaisanterie. Au contraire, d’autres productions révèlent l’incompréhension et le ressentiment des poilus à l’encontre de l’arrière.
Conception et textes : Samuel Lucet, Madeleine Perrin, Oriane Prévost, Anissa Najar, Myrtille Vignes - Avril 2018
Numérisation des documents : La contemporaine