
Depuis 2000, La contemporaine conserve les archives de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) d’avant-guerre, revenues de Moscou après un long périple aujourd’hui bien documenté[i]. En 2018, tandis qu’elle mettait à disposition des chercheurs un deuxième fonds d’archives, celles-là postérieures à 1945, La contemporaine a organisé plusieurs évènements à l’occasion des 120 ans de l’association, notamment un colloque universitaire ainsi qu’une exposition numérique : « La Ligue des droits de l’Homme, 120 ans d’histoire-s ». En parallèle de ces divers chantiers, un vaste ensemble de périodiques de l’association a été numérisé et est aujourd’hui mis en ligne sur L’Argonnaute.
Parmi ceux-ci, le Bulletin officiel de la Ligue des droits de l’Homme (BOLDH) puis les Cahiers des droits de l’Homme (CDH), publications emblématiques de l’association parues successivement de 1901 à 1963, constituent des matériaux riches pour documenter son histoire[ii]. Deux fonctions principales les caractérisent, qui sont d’ailleurs régulièrement entrées en tension. Les publications représentent d’abord l’un des moyens d’action de l’association, et sont très tôt mentionnées tels quels dans ses statuts. A cette fonction de propagande se superpose celle d’un outil permettant de faciliter son organisation interne, et singulièrement les relations entre ses structures nationales et locales - ils sont par exemple un élément essentiel en vue de l’organisation des congrès de la Ligue. Représentatives à la fois de l’identité et des orientations de la LDH, ces publications épousent dans leurs évolutions celles de l’association, de ses heures de gloire dans l’entre-deux-guerres à son déclin après 1945.
Créé en 1901, peu après la constitution officielle de la LDH en 1898, le BOLDH comporte un contenu varié : comptes rendus du comité central de la Ligue, interventions du président et du secrétaire général auprès des pouvoirs publics, conférences tenues par les édiles de la Ligue, ainsi que toute la vie interne et publique des sections et fédérations (composition des bureaux, correspondance avec le siège national, vœux divers...). Il ne s’agit alors pas d’un périodique de masse. Il est distribué seulement aux sections, et non à tous les ligueurs. Dans les premières années, il est même déficitaire « en raison de sa diffusion insuffisante »[iii] et absorbe 1/10e du budget de la LDH, pour un nombre d’abonnés alors estimé aux alentours de 2500. Une commission mise en place en 1905 pour réfléchir à sa diffusion ne tranche pas entre ses deux orientations : « les uns veulent conserver au Bulletin officiel le caractère d'un organe de liaison avec la publication des interventions et des interpellations de sections — qui occupent déjà les deux tiers du Bulletin— ; d'autres souhaitent le transformer en instrument de propagande reproduisant des conférences ou des articles. ». Le débat n’est jamais véritablement tranché et une nouvelle publication lui succède finalement en janvier 1920 : les Cahiers des Droits de l’Homme, qui se veulent une véritable revue. Le projet est de la structurer en deux parties, une première partie portant des pages de débats, en faisant une revue « de combat pour les idées », une seconde conservant un contenu semblable au bulletin précédent (communications du Comité central et des sections, interventions, manifestations). Son contenu ne passe pas sous silence les dissensions internes à la Ligue : si son rédacteur en chef n’est autre que le secrétaire général de la LDH « abrité derrière l’autorité d’une direction collégiale » et que certains articles proposés sont refusés, les positions de courants minoritaires ou de sections hostiles à la majorité de la Ligue ont droit de cité dans les Cahiers. Rapidement, le nombre d’abonnés atteint les 10 000 abonnés ; à la fin des années 1920, un plafond de 18 000 abonnés est atteint. Trimensuelle, la revue a même failli devenir hebdomadaire, dans cette période d’apogée de l’association.
Les Cahiers cessent de paraître durant la guerre, tandis que l’association est dissoute et son siège saisi par la gestapo. A partir de mai 1945, ils « renaissent modestement », en tant qu’ « organe administratif » : ils deviennent mensuels et leur contenu s’en trouve nettement amoindri. Dans ces années où l’association peine à retrouver son rayonnement passé, la revue comporte toujours des dossiers thématiques relatifs aux problématiques politiques que traverse la France, ainsi que des textes d’analyses, de conférences parfois diffusées dans des lieux extérieurs à la Ligue. A partir de 1975, tandis que l’arrivée d’Henri Noguères, homme de presse, à la présidence de la Ligue, se traduit par le renouvellement global de l’association, une refonte éditoriale sera de nouveau à l’ordre du jour, notamment avec la création de la revue Hommes & Libertés qui continue de paraître aujourd’hui.
Qu’il s’agisse de la première partie du XXe siècle – et notamment la période antérieure à la Grande Guerre où les archives de l’association comptent un certain nombre de lacunes – ou des années 1945-1960, période pour laquelle les archives sont également fort peu nombreuses, les périodiques de la LDH sont en tout cas parmi les seules sources qui nous sont parvenues, permettant de comprendre l’histoire et l’évolution de l’association. Les périodiques numérisés ayant été océrisés (les fichiers contenant l’image du document ont été automatiquement transformés en fichiers textes), leur mise en ligne permet de procéder à des recherches particulièrement efficaces, par mots-clés.
Thomas Morel, archiviste à La contemporaine
Lien vers la collection :
https://argonnaute.parisnanterre.fr/ark:/14707/a011534927178Y73QvW/from/a011534928012AF1r0c
[1] Voir notamment Sophie Coeuré, La Mémoire spoliée. Les archives des français, butin de guerre nazi puis soviétique, de 1940 à nos jours, Paris, Payot, 2006. Réédition : Petite bibliothèque Payot, 2013.
[2] La collection numérisée comprend, en tenant compte des suppléments, 366 numéros du BOLDH entre 1901 et 1919, soit une moyenne de 20 numéros par an pour une moyenne de plus de 60 pages par numéros, et 651 numéros des CDH (dont 554 avant-guerre et 97 à partir de 1945), soit une moyenne de 28 numéros par an jusqu’en 1940 (pour une moyenne d’environ 25 pages par numéros), de 5 numéros par an après 1945 (pour une moyenne d’environ 20 pages par numéros). Dans l’entre-deux-guerres, le numéro « standard » des CDH compte 24 pages, allant parfois jusqu’à plus de 40 pages. Toutefois à partir de 1945, la revue s’appauvrit et compte régulièrement des numéros de 8 pages.
[3] La totalité des passages notés en citation dans cet article renvoie au livre sur l’histoire de la LDH : Emmanuel Naquet, Pour l’Humanité. La Ligue des droits de l’homme de l’affaire Dreyfus à la défaite de 1940, Presses universitaires de Rennes, 2014. De façon générale ce billet doit beaucoup à cet ouvrage de référence.