Un corpus de 21 titres, récemment mis en ligne et encore peu étudié, témoigne de la mise en relation des élèves des ateliers des Beaux-arts entre l’arrière et le Front.
Véritables bulletins de liaison entre le Front et l’arrière, ces publications apparaissent à partir de 1915 avec la guerre longue, alors que tous les corps de métiers partent à la guerre y compris les élites des Beaux-arts et des arts manufacturiers. Ces gazettes sont publiées jusqu’en 1919 pour certains titres à l’initiative du Comité des étudiants américains à l’Ecole des Beaux-Arts (C.E.A. à l’E.D.B.A.) de Paris pour soutenir les élèves mobilisés.
Les ateliers, dans lesquels se formaient les élèves architectes des Beaux-Arts de Paris et de l’Ecole d’Architecture de Lille, les élèves-graveurs, les élèves-peintres et sculpteurs des Beaux-Arts, existaient avant-guerre et portaient le nom du maître ou patron, ils ont implicitement donné leurs noms à ces publications (exemple : Gazette de l’atelier Defrasse du nom de l’architecte Alphonse Defrasse ).
L’Ecole des Arts Décoratifs reprend l’idée en publiant à partir d’avril 1916 La Gazette des Arts Déco « destinée aux élèves actuels, anciens et aspirants de l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris, mobilisés pour la Défense du pays ».
Les gazettes des ateliers d’architecture sont les plus nombreuses dans ce corpus (16).
La Gazette des ateliers Baschet-Schommer-Dechenaud , la Gazette des Arts déco, la Gazette des Cormon, Collin, Flameng, la Gazette des ateliers Coutan, Injalbert, Mercie et Peter et la Gazette des Jean-Paul Laurens proviennent d’ateliers de peinture, illustration, décoration, sculpture et gravure.
La forme des gazettes est identique : quelques pages par numéro non reliées, ronéotypées, mêmes dimensions proches du format A4, pages dactylographiées et contenant des illustrations réalisées par des élèves et à la demande du rédacteur et du patron, tirage certainement assez réduit. Ces publications mensuelles étaient conçues à l’arrière et les rédacteurs étaient souvent des élèves de l’atelier non mobilisés et restés à l’arrière. Ainsi, Jacques Carlu, futur architecte du Palais de Chaillot et frère de l’affichiste Jean Carlu, devient rédacteur de la Gazette des Duquesne et Recoura à partir du 15 octobre 1915. Il était avant-guerre élève-architecte de cet atelier et, en 1915, il est affecté au Magasin central des troupes coloniales Boulevard Masséna à Paris.
Cependant, les élèves mobilisés ou non sont sollicités pour envoyer de leurs nouvelles, ainsi que des croquis, par exemple dans la Gazette de l'Ecole régionale d'architecture de Lille et dans la gazette Le Redon .
Le contenu comme la forme est quasi-identique dans toutes les gazettes d’ateliers, il s’agit de donner des nouvelles de l’avant vers l’arrière sous forme de rubriques : le mot du « patron » de l’atelier par exemple celui de Gabriel Héraud architecte et patron de l'atelier Héraud, les citations des élèves, des nouvelles des blessés et des prisonniers, les tués, les adresses des élèves et des extraits de lettres envoyées par eux, quelques fois des textes un peu plus longs apportent des nouvelles édulcorées du Front. Dans la Gazette Laloux, on trouve aussi quelques actualités de l’atelier d'architecture et de ses activités en temps de guerre, dans ce cas des nouvelles de l’arrière vers le Front.
En août 1916, une interdiction de diffusion de la Gazette Pauline dans les pays neutres nous indique que le Bureau de la censure et les autorités militaires devaient également contrôler ce type de publications.
Les nombreuses illustrations sont le plus souvent des représentations de l’héroïsme combattant , des représentations du patriotisme et des caricatures de l’ennemi conçues à l’arrière et pour l’arrière, semblables à celles que l’on retrouve dans La Baïonnette ou le Rire rouge (prochainement mis en ligne dans l’Argonnaute), titres de presse contemporains.
Les gazettes d’ateliers étaient diffusées au Front aux différents élèves des ateliers mobilisés et à ceux restés à l’arrière et se voulaient des traits d’union entre les différents participants des ateliers, élèves, anciens élèves, maître, enseignants et personnel. Ces publications constituent une source pour étudier leur activité et leur relation épistolaires.
Les gazettes d’ateliers de la Grande Guerre traduisent un esprit de corps et ont vraisemblablement été un moyen de conserver et d’entretenir une sociabilité professionnelle pendant la Grande Guerre.
Pour accéder au corpus des Gazettes d’ateliers de la Grande Guerre dans l'Argonnaute
Aline Théret